II  -  LA  PREMIERE  GUERRE  DACIQUE

 

 

II  -  LA  PREMIERE  GUERRE  DACIQUE.. 1

A - LA CAMPAGNE DE 101. 1

1. LA STRATEGIE DE TRAJAN.. 1

2. DECEBALE ET SES ALLIES. 5

B - LA «DIVERSION» EN MESIE INFERIEURE.. 7

1. DECEBALE PREND L’INITIATIVE.. 7

2. TRAJAN SAUVE PAR SA MOBILITE.. 10

C - LA FIN DE LA PREMIERE GUERRE DACIQUE.. 11

1. DEUX BELLIGERANTS EPUISES. 12

2. LA CAMPAGNE DE 102 ET LA PAIX.. 14

 

A - LA CAMPAGNE DE 101

 

 

1. LA STRATEGIE DE TRAJAN

L’empereur romain part à la tête de ses troupes contre les Daces. Domitien lui, n’a jamais combattu personnellement ces barbares selon Dion Cassius. L’élite de l’armée suit son chef. Les prétoriens, garde personnelle de l’empereur, participent rarement à la guerre. Trajan, militaire de carrière sait que les autres légions sont jalouses de ces privilégiés. Leur participation au combat permet à Trajan de les mener à la victoire[1], donc de les fidéliser et de souder ses soldats.

 

Nicolae Gostar a tenté d’établir la liste des effectifs romains lors des guerres daciques[2]. Il a surtout utilisé l’épigraphie pour prouver le passage des troupes romaines. Les prétoriens venus en Dacie se composent de quatre cohortes de fantassins, des equites praetoriani et des equites singulares imperatoris. Lors des guerres offensives, les légions se voient parfois affectées à d’autres frontières, laissant des brèches dans le limes. Trajan dégarnit moins les défenses de l’Empire en amenant les prétoriens de Rome.

 

Les légions pour attaquer la Dacie sont au nombre de six  (Voir Tableau 3) ; cinq viennent du Danube et pour la plupart ont déjà combattu les Daces. Elles connaissent l’ennemi et le terrain. Une légion vient de Germanie Inférieure où les guerres de Domitien et les expéditions de Trajan ont fortifié la frontière. Il reste quatre légions pour les provinces de Germanie, six sous Domitien. Il existe douze légions sur le Danube mais toutes ne vont pas à la guerre. Trajan ne peut pas à l’époque diriger autant d’hommes efficacement et se permettre de vider ses frontières de légions.

 

Trajan appelle à lui des vexillations. Ces unités d’environ mille hommes détachées des légions sont très utiles. Ces troupes renforcent le nombre de légionnaires pour le front dace et n’affaiblissent pas trop les autres. Les légions sont incomplètes mais restent efficaces comme force de dissuasion.

 

Trois vexillations viennent de l’Orient commandées par le prêteur C. Iulius Quadratus. Trajan ne dégarnit pas trop cette frontière, l’ennemi parthe est très redoutable.

 

Les autres vexillations proviennent de la frontière danubienne, surtout de Pannonie. Les légions ici surveillent Quades et Iazyges, voisins très hostiles sous Domitien.

 

Trajan amène avec lui 40.000 légionnaires qui sont pour la plupart vétérans des guerres contre les Daces et les Sarmates. L’empereur profite de la paix à ses frontières pour attaquer, mais il ne dégarnit pas le limes pour autant. Seule la Mésie Inférieure se trouve sans légions. Trajan espère se battre en Dacie, c’est lui l’agresseur. Il ne pense pas être attaqué par les Daces dans l’Empire. Il se méfie surtout des autres barbares opportunistes.

 

Des auxiliaires restent pour défendre la Mésie Inférieure. L’armée elle aussi comprend des auxiliaires. La plupart ont été amenés par Domitien pour ses guerres danubiennes. Les unités d’auxiliaires représentent la moitié des effectifs de l’armée. Les auteurs modernes ne sont pas d’accord sur leur nombre pendant les guerres daciques.

 

Les chiffres ont de 40 à 80 unités selon les auteurs. Le nombre de légions variant aussi selon les historiens, ceux-ci tentent toujours de réajuster le nombre d’auxiliaires par rapport à celui des légions. Nous retenons les chiffres de Nicolae Gostar (Voir Tableau 3) parce qu’ils sont plus récents et surtout précisent la provenance des troupes avant la guerre : 14 et 34 cohortes sont dénombrées. Les trois quarts proviennent des deux Mésies, le reste de Pannonie et un peu de Syrie.

 

Beaucoup de troupes ont été massées ici par Domitien et ont déjà combattu. Les Mésie se trouvent vidées d’auxiliaires et de légionnaires. Il reste peu de troupes dans ces deux provinces. Les auxiliaires ont l’avantage d’être des troupes légères et mobiles. Ils protègent l’avancée des légions surtout dans les terrains difficiles. D’autres unités légères sont présentes dans les guerres daciques[3].

 

Trajan en militaire avisé, a eu l’intelligence de créer les numeri. Les hommes composant ces unités ont gardé leurs caractères ethniques[4], ils se battent avec les armes de leur pays, leurs uniformes et parlent leur langue. Il y a des archers palmyriens[5], des Germains et des cavaliers Maures. Ils servent de complément à l’armée romaine. Ils maîtrisent souvent leur technique militaire plus aisément que les Romains. Certaines provinces de l’Empire fournissent un type particulier d’unités, les frondeurs des Baléares.par exemple sont très réputés Leur utilité est très grande sur le champ de bataille. Ils pallient le manque de l’armée romaine en cavalerie et armes de jet.

 

Toutes ces troupes donnent un côté hétéroclite à l’armée de Trajan. En revanche, l’empereur possède toutes les armes possibles contre les Daces. En réunissant autant de forces, il peut faire face à des situations diverses, et ce d’autant que Décébale a des alliés inconnus de Rome.

 

Il existe encore d’autres troupes. Les pédites singulares environ 500 par groupe servent d’escortes aux gouverneurs des deux Mésie et de la Pannonie assistant à la guerre. L’armée romaine est accompagnée des medici, des veterinari fabri (personnel médical) et des serviteurs des officiers. Les arrières sont couverts par les garnisons d’auxiliaires en Mésie Inférieure. La Classis Flavia Moesica et la Classis Flavia Pannonica assurent le ravitaillement et contrôlent le Danube. Les marins romains sont les derniers soldats de l’Empire, mais restent des militaires et peuvent participer au combat.

 

Trajan dirige une armée nombreuse. La plupart des auteurs modernes[6] l’estiment à 100.000 hommes environ. Il existe trente légions dans l’Empire en 101. Trajan utilise six légions complètes plus des vexillations. Il y a donc 20 à 25 % de l’armée romaine engagée dans le conflit. L’empereur s’attaque à un pays de la taille d’une grosse province. Il n’a pas besoin de plus d’hommes. L’empereur prévoyant a dosé son armée sur les frontières selon les besoins.

 

Trajan a douze légions sur le Danube, toutes ne vont pas à la guerre. Elles servent de réserve stratégique et protègent le Danube.

 

Trajan dirige une armée d’environ 100.000 hommes. Dans l’Antiquité les moyens de communication restent limités. Un général ne peut commander efficacement des dizaines de milliers de soldats. Le relief montagneux ralentit beaucoup les mouvements et les communications. Une armée ne peut s’y déployer facilement.

 

L’armée est divisée en deux colonnes de marche. Cette division de l’armée permet de mieux gérer le déplacement des troupes et d’attaquer l’ennemi sur plusieurs points, elle favorise donc la mobilité et l’efficacité.

 

Trajan prend un risque en séparant ses troupes. Une de ses colonnes peut être attaquée sans être soutenue par l’autre. Ce choix démontre que les Daces, selon l’état-major romain, peuvent être vaincus par une des deux colonnes. Ils sont donc sûrement moins nombreux ou efficaces que cette armée romaine complète.

 

La colonne de Trajan franchit l’Ister sur un pont de bateaux vers Viminacium. Ce passage est symbolique pour les Romains : César a franchi le Rubicon. Tout passage de fleuve montre la volonté de conquérir, d’étendre les frontières. Le cours d’eau est en plus franchi grâce à l’ingéniosité du peuple romain et non à gué[7].

 

L’autre colonne passe par Dierna. Les deux armées quittent la Mésie Supérieure et envahissent le Banat sans problème. Trajan passe par le Nord en plaine, là où son armée est la plus efficace. Il longe la frontière dace iazyge. Les Sarmates Iazyges installés dans la plaine Hongroise par Rome, sont des alliés peu fiables.

 

Ce chemin permet à Trajan de montrer la force de son armée aux Iazyges pour éviter qu’ils s’allient aux Daces. C’est aussi le chemin le moins montagneux et le plus rapide pour atteindre la capitale dace. Trajan se méfie des embuscades en montagne et des alliés daces potentiels dont il a reçu un message[8]. En effet, un peuple Germain, n’ayant aucun contact avec Rome, s’est allié aux Daces. Trajan ne les rencontre pas dans le Banat. Les deux colonnes se rejoignent à Tibiscum qui tombe. Les Romains sont proches de Sarmizegetusa.

 

Le plan de Trajan semble simple mais efficace. L’ennemi est dirigé par un Etat centralisé mais il reste composé de tribus daces. La prise de la capitale dace représenterait la fin de l’Etat dace de Décébale, donc sa reddition. L’armée romaine très versée dans la poliorcétique, préfère une guerre de siège en général. L’ennemi une fois non ravitaillé peut se rendre et les pertes sont sûrement moins lourdes que sur les champs de bataille.

 

Trajan évite de passer par les montagnes et attaque via le Banat par le Nord. Il évite la guerre dans les reliefs favorables aux Daces. Une fois proche de la capitale, Trajan réunit les deux colonnes pour forcer le chemin à Tapae. La capitale dace est encerclée de forteresses contrôlant chacun un passage. L’armée romaine doit d’abord tenir ces points pour couper toutes les communications de Sarmizegetusa et l’assiéger.

 

Trajan en tant qu’agresseur, porte la guerre chez l’ennemi pour le contraindre à la paix et donner du butin à ses hommes. Son armée très nombreuse et variée, possède plus de cavalerie et une meilleure utilisation de la poliorcétique. L’empereur bon militaire, a des objectifs très réalistes : prendre la capitale dace et éviter les mouvements en montagne.

 

Trajan, sûr de lui, a omis de laisser des réserves conséquentes derrière lui. Il attaque à l’extrême Ouest de la Dacie, dégarnissant l’Est. Il pense sûrement que les Daces vont défendre leur territoire en attaquant les colonnes ou en fortifiant leurs villages. Les Romains préfèrent acculer l’ennemi derrière ses murs et l’assiéger[9].

 

L’empereur agresse un Etat centralisé. Pour gagner la guerre il lui suffit de battre Décébale et de le tuer ou de le capturer. Trajan marche donc vers la capitale dace pour contraindre Décébale à s’engager dans une bataille rangée ou de subir le siège de Sarmizegetusa. L’armée romaine est très souvent victorieuse en bataille rangée contre des barbares et perd rarement ses sièges. Décébale a déjà vaincu Rome mais la dernière guerre a vu sa défaite. La stratégie de Trajan lui est familière. Il s’adapte et attire les forces romaines en Dacie pour utiliser au mieux ses alliés.

 

2. DECEBALE ET SES ALLIES

Trajan pour réussir son plan doit fixer les Daces dans leurs fortifications. Pour cela, il incendie villages et champs[10]. Habituellement les barbares, peu disciplinés, tentent toujours de sauver leurs récoltes et leurs familles. Mais Décébale, fin stratège, laisse Trajan s’avancer et menacer Sarmizegetusa. Laisser passer les Romains sans réagir montre la discipline et la détermination des Daces.

 

En effet, Décébale tient ses hommes. Ainsi, ils agissent au meilleur moment. La stratégie du roi dace au début de la guerre est de laisser avancer les Romains. Trajan est alors le vrai agresseur puisqu’il envahit la Dacie. De plus, l’empereur romain a fait le choix d’employer la même stratégie que Tettius Julianus qui avait ainsi vaincu les Daces en 88. Décébale a subi cette défaite, il réagit en conséquence et change de stratégie face à cette nouvelle attaque romaine.

 

Les Daces ne bougent pas sauf  pour des combats d’escarmouche afin de maintenir la pression. Ils tentent de démoraliser les troupes ennemies avançant en terrain difficile. Il est risqué de se battre chez son adversaire qui connaît bien les lieux, mais les Romains doivent surtout s’inquiéter des alliés inconnus de Décébale.

 

Un Germain s’est jeté aux pieds de Trajan en lui apportant un champignon[11] sculpté d’inscriptions latines. C’est un signe de paix. Décébale dévoile une de ses cartes. Il a des alliés germains inconnus de Rome. Cette nouvelle montre à Trajan que Décébale n’est pas dépourvu d’aides extérieures.

 

Trajan avance prudemment[12], les camps romains sont construits tous les soirs et rassurent les troupes[13]. L’empereur malgré la prudence conseillée, doit se hâter pour prendre Sarmizegetusa avant l’hiver, la saison gênant considérablement les communications et le ravitaillement. De plus, Décébale attend des renforts, les Germains peuvent surgir pour prendre part aux combats et rallonger la guerre.

 

Les Bures sont établis dans les Carpates du nord de la Dacie[14], loin de l’Empire romain. Les Daces les ont battus et fixés dans cette région. C’est un peuple proche des Suèves[15]. Ils sont représentés sur le trophée d’Adamklissi. Ils sont torse nu (représentation stéréotypée pour les Germains) et armés de falx ou d’épées. C’est essentiellement de l’infanterie.

 

Ce peuple ne connaît pas la puissance romaine. Décébale a pu les payer avec l’argent des subsides romains, de l’or dace ou leur a promis du butin, les trois suppositions sont possibles. Pour Vasile Parvan, les alliés de Décébale sont les Bures et non les Bastarnes, autre peuple Germain.

 

Bures ou Bastarnes[16], Décébale a un peuple Germain pour allié. Il n’est pas aussi isolé que le pense Trajan. Les peuples du Bas Danube, Quades et Iazyges, alliés de Rome, restent neutres. Les Sarmates Roxolans à l’Est ont déjà attaqué l’Empire en 69. Leur raid avait mal tourné. En effet, ralenties par leur butin, les troupes romaines les avaient rattrapés et battus. Les Roxolans veulent bien aider Décébale et ils sont sa seule cavalerie efficace. Voisins de l’Empire romain, ils connaissent sa puissance et ses richesses. Décébale a deux alliés. Ce sont des peuples barbares indépendants qu’il doit ménager et à qui il doit trouver des ressources pour motiver leur entrée en guerre.

 

Trajan avance et rencontre une armée dace à Tapae[17]. La vallée de la Bistra est un passage étroit menant à Sarmizegetusa par l’Ouest. Ce sont les Portes de Fer de la Transylvanie. C’est le lieu de défense privilégié des Daces[18]. L’archéologie[19] a dévoilé sur ce site des murs de terre daces. Les Daces sont en position haute à l’orée d’un bois. Les Romains attaquent avec peu de troupes[20], trois ailes, huit cohortes d’auxiliaires dont une d’archers plus des Symmachiarri Germains. Les légions n’ont pas besoin d’intervenir, le «sang romain» est préservé, mais surtout la victoire est aisée. Les Daces reculent en bon ordre prouvant une fois de plus leur discipline et récupèrent même leurs blessés.

 

Cette bataille dévoile en partie la stratégie de Décébale. Il se défend à Tapae à son habitude. Tettius Julianus avait gagné ici. Vaincu en partie, le roi dace tente des pourparlers comme avec Domitien, mais Trajan ne veut pas la paix. Trajan est salué Imperator par ses troupes. L’ambition de l’empereur est grande, il a vaincu l’ennemi sans faire appel aux légions, les alliés daces sont absents et Décébale lui offre la paix.

 

L’empereur veut plus qu’une simple paix qui lui serait favorable pour l’instant puisqu’il a battu les Daces en bataille rangée chez eux. L’armée victorieuse ne poursuit pas et laisse reculer les Daces. La poursuite pourtant permet d’achever un adversaire vaincu et Trajan a de la cavalerie en nombre suffisant pour la lancer. L’état-major romain ne veut sûrement pas s’enfoncer trop rapidement en territoire ennemi et se faire surprendre. Tettius Julianus avait opté pour cette solution. Cornelius Fuscus, lui, s’était fait massacré en 86. En revanche le pillage se répand de plus en plus et les villages daces sont brûlés[21]. Trajan, pour achever les Daces doit prendre Sarmizegetusa.

L’armée romaine, confiante, hiverne en plein coeur du territoire ennemi dans les Monts d’Orastie. L’empereur est déterminé à abattre les Daces puisqu’il reste chez eux pour les combattre. Trajan fixe ses troupes et se fortifie car en théorie la guerre dans l’Antiquité ne se poursuit pas pendant la mauvaise saison. En occupant le terrain, les Romains gênent l’approvisionnement et les communications ennemies. Ils prolongent les hostilités. Trajan prend des risques. L’hiver en Transylvanie est rude. Des garnisons et des fortins protègent le ravitaillement avec l’Empire et la cavalerie nombreuse assure les liaisons, mais les Daces ont encore des ressources à opposer aux Romains.

 

Décébale bien que vaincu à Tapae a encore des atouts. Le climat empêche des sièges efficaces et la neige gêne les mouvements des cavaliers[22]. Trajan a isolé son armée dans les montagnes et le froid de la dépression du Hateg. Les forteresses daces ne sont pas encore tombées. Elles ont été améliorées grâce aux techniciens romains. L’archéologie a permis de retrouver des murs de briques romaines, surtout à Sarmizegetusa.

 

Décébale a bien employé ses revenus. Il a renforcé la fortification de sa capitale et des alentours. Il possède des machines de guerre et sait les utiliser, ce qui est rare chez les barbares. Il a encore des troupes en réserves. Son armée lui obéit et ses alliés n’ont pas encore été dévoilés.

 

Trajan veut la reddition de Sarmizegetusa. Il a entassé son armée aux alentours. Prudent, il ne recherche pas l’armée dace et ses alliés dans les montagnes. Il attend la fin de la mauvaise saison et occupe les terres daces.

 

Décébale a les mains libres pour agir. Ce n’est pas l’hiver qui va l’arrêter. Les Romains fixés en Dacie, Décébale peut donc attaquer où il le désire. Il va tenter de déloger les Romains de Dacie en surprenant Trajan.

 

B - LA «DIVERSION» EN MESIE INFERIEURE

 

1. DECEBALE PREND L’INITIATIVE

L’hiver dans l’Antiquité permet aux armées de se renforcer, de se reposer. Les barbares ont l’habitude d’effectuer des raids en hiver, surprenant ainsi l’ennemi.

 

Décébale, fin stratège, exploite les erreurs de Trajan. L’armée romaine située au coeur de la Dacie provient essentiellement des deux provinces de Mésie et du Danube en général. La Mésie Supérieure touchant la Pannonie Supérieure, elle peut être secourue par des légions. De plus, l’armée de Trajan n’est pas loin. En revanche, la Mésie Inférieure est loin de toutes légions, la Thrace n’en possède pas et celles de la Mésie Supérieure sont en Dacie.

 

L’attaque étant souvent la meilleure défense, les alliés de Décébale et les Daces se ruent sur la Mésie Inférieure. Trajan, d’une prudence raisonnable dans son avancée en Dacie, commet une grande erreur stratégique. Il a laissé une province vide de légions, dégarnissant gravement ses arrières. Décébale a le champ libre pour ravager la province et déstabiliser les communications de Trajan avec l’Empire.

 

Les Romains savent pourtant que les barbares traversent parfois les fleuves en hiver et sans  pont[23]. Les cavaliers coupent le courant à l’aide de leur monture pour permettre aux fantassins de nager avec plus d’aisance[24]. Le Danube en hiver n’est pas un fleuve facile à franchir. La glace se rompt à certains endroits et une baignade même courte est dangereuse, à cause du climat. Décébale s’attaque[25] aux garnisons d’auxiliaires sur le limes et utilise des machines de guerre. Le pillage de la Mésie Inférieure commence.

 

Le roi dace en attaquant cette province, fait un bon choix pour plusieurs raisons. Les alliés Bures et Sarmates Roxolans ne se battent pas sans compensation. En les envoyant sur la frontière, Décébale leur offre un butin facile à prendre. La Mésie Inférieure est une province fertile au Sud du Danube. Les Daces ne cherchent pas à prendre l’armée romaine à revers, sinon ils auraient tenté de libérer les Monts d’Orastie.

 

Décébale évite toujours la bataille rangée. Il veut décourager Trajan et traiter avec lui. Les camps romains isolés sont attaqués. La cavalerie Sarmate très mobile, sert sûrement d’avant garde. Elle sera par ailleurs la première à contacter l’armée de Trajan. Décébale l’utilise ici[26] parce qu’elle est surtout plus efficace en plaine au bord du Danube qu’en Transylvanie.

 

Le ravitaillement pris en territoire ennemi permet de réapprovisionner les stocks daces déjà atteints par les sièges de Trajan. Décébale dévoile sa capacité à réfléchir à une situation globale. Ses hommes doivent être motivés. Ils laissent leurs terres pour attaquer l’ennemi. La Dacie est grande. Trajan n’occupe  que l’Ouest et le Sud. Décébale a su préserver ses forces et ses alliés pour attaquer au bon endroit.

 

Décébale utilise des machines de guerre pour prendre les garnisons frontalières. En attaquant l’Empire, il oblige Trajan à quitter ses positions et à arrêter ses sièges. Les Daces veulent libérer leurs terres pou cultiver et utiliser leurs pâturages. Ce sont des paysans pour la grande majorité et non des  soldats professionnels, comme les troupes de l’Empire romain.

 

L’attaque imprévue de Décébale  pose un dilemme à Trajan. Doit-il partir avec toute son armée en plein hiver pour tenter d’arrêter le pillage de sa province ? Doit-il rester pour prendre à tout prix  la capitale dace et occuper le territoire ? Ou doit-il tenter de concilier les deux solutions en séparant son armée ?

 

Trajan ne peut quitter la Dacie, il s’avouerait vaincu. Il ne peut pas non plus abandonner la Mésie Inférieure aux barbares. La réputation militaire de l’empereur est en jeu. Décébale a déstabilisé la stratégie de Trajan. Il a su analyser sa défaite face à Tettius Julianus et trouver une solution. Trajan a les moyens de gagner, donc Décébale l’évite.

 

En attaquant l’Empire directement, il a peut être aussi  voulu inciter les autres barbares du Danube à se joindre à lui. Les Gètes, peuple de même souche que les Daces, ont été décimés et incorporés à l’Empire par Rome, ils ne bougent pas. Iazyges et Quades n’aident pas non plus les Daces, cette fois-ci, ils sont alliés à Rome.

 

L’empereur ne peut laisser des barbares envahir et ravager l’Empire. C’est un mauvais exemple pour les autres peuples voisins. Trajan décide de laisser des hommes dans la dépression du Hateg. Ils sont réfugiés dans des camps de leur fabrication. Les Daces les harcèlent pour les déloger mais ils tiennent bon. L’empereur, énergique, part sauver la situation en Mésie Inférieure, il ne peut laisser cet affront impuni. Une partie de l’armée dont sa garde prétorienne, le suit.

 

Décébale, apprenant que Trajan arrive, va tenter de fuir pour se réfugier dans ses montagnes et ses forêts, mais l’armée romaine progresse vite.


2. TRAJAN SAUVE PAR SA MOBILITÉ

L’empereur, informé des problèmes de la Mésie Inférieure, réagit efficacement. Il traverse avec des troupes le Banat et embarque à Drobeta. Il a avec lui des légions et les prétoriens. Trajan s’attend donc à un affrontement dangereux[27]. L’élite de l’armée l’accompagne. Il débarque entre Oesus et Novae[28].

 

La logistique romaine est impressionnante. L’armée rejoint l’ennemi en Mésie Inférieure située à plusieurs centaines de kilomètres. La flotte romaine et les aménagements du Danube ont payé[29]. La voie d’eau permet aux Romains d’attaquer rapidement par surprise avec des troupes moins fatiguées (pas de longues marches). Les chevaux sont aussi convoyés par bateau[30].

 

Les Sarmates Roxolans rencontrent la cavalerie romaine les premiers. Les cataphractaires[31] Sarmates très réputés et redoutés par les Romains, sont battus. Trajan souvent représenté à cheval sur la colonne Trajane[32], montre l’élan de ses troupes recherchant l’ennemi. Les cavaliers de Décébale servaient peut être à couvrir la retraite des Daces comme arrière garde.

 

La deuxième bataille se déroule de nuit. Les combats nocturnes sont rares dans l’Antiquité. Ils sont dangereux, les troupes paniquent vite et les armes de jet ne peuvent être tirés de loin. Les Romains surprennent l’ennemi de nuit à côté de leurs chariots. Les soldats se battent pour le butin et ils rechignent souvent à l’abandonner. La discipline romaine apprend aux légionnaires à ne pas succomber à la tentation. La prise du butin doit s’effectuer quand l’ennemi est vaincu ou impuissant.

 

L’attaque de nuit a dû prendre par surprise l’ennemi. Les barbares lorsqu’ils sont attaqués forment un cercle avec leurs chariots. Ces fortifications improvisées arrêtent la cavalerie et protègent les défenseurs. Encore aurait-il fallu que les barbares prévoient l’attaque. Ils sont défaits et la poursuite continue. Nicopolis, la ville de la victoire, est peut-être le lieu de la bataille.

 

Trajan avance inexorablement. En hiver la boue est très fréquente, les chariots déjà lents ralentissent encore plus les Daces. Des blocs de glace sont aussi souvent charriés par le Danube en cette saison. Les barbares gênés par leur butins, ne sont plus aussi mobiles et leur retraite est laborieuse.
Décébale veut sûrement fuir. Son raid sur la Mésie Inférieure a obligé Trajan à descendre le rejoindre, lâchant un peu la pression sur la région de Sarmizegetusa. Décébale mène ainsi la guerre à sa guise. Le problème pour lui réside dans le fait que Trajan possède une armée très rapide.

 

Les Daces alourdis par le butin doivent, s’ils veulent fuir rapidement, abandonner leurs prises de guerre. Décébale a déjà perdu beaucoup d’hommes, sa cavalerie et une partie du butin. A Adamklissi, les deux armées se rencontrent. Dion Cassius[33] décrit une bataille sanglante. Les légionnaires et les prétoriens sont engagés dans le combat[34]. Selon les auteurs anciens, Trajan aurait déchiré ses vêtements pour panser les blessés. La colonne Trajane représente d’ailleurs pour la première fois des blessés du côté romain.

 

Le trophée d’Adamklissi dressé par Trajan en 109 après la guerre, rappelle la bataille. C’est essentiellement des Bures qui sont représentés sur les métopes, une quarantaine pour vingt Daces et quatre Sarmates en kaftan[35]. Les cavaliers sarmates sont peu présents. Ils ont bien été refoulés par les Romains précédemment.

 

Trajan faisant appel à ses meilleures troupes, le combat a dû être acharné. Les Daces acculés à la bataille avec leur butin ont résisté puis tentent de fuir. La cavalerie poursuit et achève les derniers[36]. Sans cavaliers pour couvrir leur retraite, seuls les bois peuvent protéger les Daces[37]. Dans la forêt l’avancée des chevaux est ralentie par la végétation et les accidents du terrain. Les Romains ne tentent pas de tuer tous les Daces en les encerclant totalement. L’ennemi sans chemin pour fuir peut devenir fanatique et résister jusqu’à la mort.

 

La médecine romaine, la meilleure de l’époque, s’occupe des blessés mais l’armée a des morts. Les pertes daces sont inconnues et il y a des prisonniers[38]. L’empereur récompense ses hommes et refranchit le Danube avec de nouvelles troupes légionnaires.

 

Trajan a réussi à rattraper l’armée coalisée et l’a anéantie malgré de lourdes pertes. Un trophée dédié à Mars Ultor, Dieu vengeur de la guerre, est érigé en 109 sur le champ de bataille. C’est le seul créé pour ce type d’occasion par Trajan.

 

Dans l’Antiquité, il y a peu de morts dans une bataille, c’est surtout pendant la poursuite que les gens sont tués. Cela prouve la violence des combats, les deux belligérants étaient tous deux très motivés. Le perdant a mis du temps pour être démoralisé. C’est la principale bataille rangée des guerres daciques. Après celle-ci, un constat s’impose dans les deux camps.

 

C - LA FIN DE LA PREMIERE GUERRE DACIQUE

 

 

1. DEUX BELLIGERANTS EPUISES

L’hiver 101-102 a vu de nombreuses batailles en peu de temps. La contre offensive de Décébale en Mésie Inférieure a perturbé les plans de l’état major romain.

 

Les camps romains installés aux abords des citadelles daces ont subi de nombreux assauts et un hiver en montagne. Les soldats romains tiennent toujours leur position, mais ils sont encerclés. L’armée de Trajan devrait pouvoir dégager les hommes fortifiés en Dacie, mais elle a subi des pertes à Adamklissi.

 

La Mésie Inférieure pillée et attaquée par les barbares doit reconstruire ses forts et recevoir de nouvelles troupes. Trajan l’agresseur n’avait pas prévu l’attaque dace. Il a perdu l’initiative, dévoilant une certaine incompétence en matière de stratégie militaire. En revanche, l’armée romaine a prouvé son invincibilité sur le plan tactique, toutes les victoires sont du côté romain. L’empereur pallie ses faibles qualités de stratège grâce à une excellente armée adaptée à toutes les situations.

 

Trajan paie de sa personne, il est toujours représenté à cheval[39] avec ses gardes et selon Dion Cassius soigne même ses hommes[40]. C’est un meneur, il s’allie les Dieux par ses sacrifices et n’hésite pas à motiver l’armée par ses discours. Il les comprend et les soutient grâce à son expérience dans l’armée. Il veut être aimé par ses troupes et fait tout pour. Consciencieux, il réorganise ses armées.

 

L’armée romaine a perdu des soldats, mais le plus grand atout de l’Empire ce sont ses ressources provenant de tout le bassin Méditerranéen. Deux nouvelles légions,  la I Minervia et la XXXème Ulpia soit environ 10.000 hommes, remplacent les pertes et se rajoutent au conflit[41].


De nouveaux auxiliaires ont sûrement dû remplir les manques, surtout dans les garnisons de la Mésie Inférieure, mais ils ne sont pas mentionnés. Les légions sont des troupes d’élites, leur localisation est donc plus importante. Les auteurs anciens situent plus rarement celle des unités auxiliaires.

 

Le ravitaillement lui, doit toujours être bon. La Mésie Inférieure a été pillée mais le reste de l’Empire est intact et paie toujours le tribut. Trajan peut donc continuer la guerre encore longtemps. Les autres frontières sont calmes, son armée est victorieuse et les pertes sont rapidement comblées.

 

C’est dans son orgueil que Trajan doit être le plus touché. Décébale s’est révélé meilleur stratège en portant la guerre dans l’Empire. C’est l’armée romaine qui a sauvé l’honneur en écrasant  daces et alliés barbares sur les champs de bataille. Décébale conscient de son infériorité a envoyé plusieurs ambassades à Trajan, mais celui-ci les repousse, il veut toute la Dacie. Le problème c’est que la capitale dace, siège du pouvoir, est toujours là et Décébale reste le roi des Daces.

 

Le chef barbare a tenté de repousser l’envahisseur d’une manière originale et intelligente. Il a su exploiter les erreurs de Trajan. Malheureusement pour lui, son expédition en Mésie Inférieure a fini par un désastre dû à l’encombrement du butin.

 

Décébale a perdu ses atouts en Mésie Inférieure. En premier, ses alliés Sarmates et Bures ont été battus par les troupes romaines. La cavalerie des Sarmates Roxolans anéantie, Décébale perd cette arme. Les Romains ont vraiment une supériorité écrasante en cavalerie (ceci est d’ailleurs assez  rare dans l’histoire de l’armée romaine), ceci est un handicap énorme sur les champs de bataille pour protéger ses flancs, ses arrières, ses retraites. Les Bures, l’atout caché de Décébale, ont aussi été battus. Ces Germains inconnus de Rome se battant aussi avec des falx comme les Daces[42], n’ont pas su impressionner les légions et les battre.

 

Décébale dans sa fuite et ses défaites, perd aussi son butin. Ceci est très important. Le pillage devait permettre de récompenser ses alliés, ses propres hommes et ramener des provisions aux forteresses assiégées. Le pillage d’une province riche romaine pouvait peut-être inciter les autres barbares du Danube comme les Iazyges, d’attaquer Rome ou de les corrompre.

 

C’est ce butin qui a ralenti l’armée de Décébale. Les chariots sont lents à déplacer surtout s’ils sont lourdement chargés. La traversée du Danube oblige à trouver un gué. Le repli vital pour les Daces et leurs alliés devait être rapide. Les Roxolans en 69 avaient commis la même erreur. Décébale a eu une brillante idée, mais l’armée romaine l’a rattrapé et a massacré ses alliés et ses hommes.


Le roi barbare est au bord de la défaite. Ses alliés sont détruits et les pertes daces sont importantes. La Dacie n’a pas un potentiel humain très important surtout par rapport à l’Empire romain. Décébale ne peut remplacer les morts sauf avec l’aide de ses voisins, mais ils restent sourds à ses appels.

 

Son territoire est occupé et a subi le pillage des légions. Décébale a de faibles ressources en hommes et en matériel, il ne peut constamment renouveler ses effectifs et les ravitailler. Le roi barbare malgré ses faibles moyens matériels, a su surprendre Trajan et menacer l’Empire. Il lui reste donc quelques arguments politiques et militaires pour sauver une partie de son royaume.

 

La première guerre dacique dure encore quelques mois après cet hiver riche en événements.

 

2. LA CAMPAGNE DE 102 ET LA PAIX

Trajan a battu le gros de l’armée dace en Mésie Inférieure. Il en profite pour multiplier les sièges dans les Monts d’Orastie. Les Daces sont obligés de se répartir dans les différentes places fortes pour protéger la population et leurs terres.

 

Selon Eugen Cizek, Trajan divise son armée en quatre colonnes afin de prendre toutes les citadelles. C’est une remarque très importante. En effet, en divisant son armée en quatre Trajan sait que chacune des colonnes peut résister à l’armée dace. Les Daces ne sont donc plus très nombreux à combattre et cette stratégie de division de l’armée en plusieurs colonnes sert en général à mater des rebelles très mobiles dans les provinces révoltées[43].

 

Les citadelles des Monts d’Orastie sont assiégées. C’est la capitale dace qui est visée à long terme. Les Daces ont un système défensif très élaboré qui a toujours su arrêter l’envahisseur barbare, mais les Romains[44] sont des spécialistes en poliorcétique.

 

Les habitants daces sont situés sur des collines mamelonnées d’une altitude de 5 à 900 mètres. Une citadelle,  lieu de refuge et de surveillance des voies de communication, est souvent située à 1.200 mètres[45]. Un réseau de forteresses protège les accès de Sarmizegetusa. Ces constructions sont inspirées du modèle hellène tout en restant dans le style local (matériel local). La base des murs est en pierres taillées renforcée par des poutres et a une largeur de trois mètres. Le haut des murs est soit en bois, soit en brique cuite. L’accès aux citadelles est protégé par des tours de bois ou de pierre, des palissades, des trous dissimulés.

 

Les Daces ont un système de défense évolué pour des barbares Danubiens. Des entrepôts de blé, d’orge, de millet, et des citernes creusées dans la terre ou la roche, prouvent l’organisation et la discipline nécessaire en cas de siège.

 

Trajan prend la forteresse de Costeti (1.200 mètres). Il y trouve des armes, des machines de guerre, des enseignes militaires et des prisonniers romains capturés par Décébale contre Cornélius Fuscus. L’empereur venge ainsi l’honneur de Rome, tel Germanicus ramenant les aigles perdus par Varus à Kalkriese.

 

Laberius Maximus, lui, attaque la citadelle de Tilisca et capture la soeur de Décébale[46]. Les autres colonnes pillent et détruisent les villages daces[47]. La colonne Trajane dévoile les scènes de pillage courantes : destruction par le feu des habitations, récolte du blé ennemi.

 

La stratégie est simple. L’armée  vit sur le terrain pour empêcher le ravitaillement et démoraliser l’adversaire. Le moral et la sécurité des Romains sont préservés grâce aux nombreux camps fortifiés[48]. Les forêts sont peu  sûres, mais les Daces sont toujours battus en bataille rangée.

 

Les citadelles tombent et les forts romains se rapprochent de Sarmizegetusa. La colonne Trajane représente une dernière bataille dans la plaine où la victoire semble difficile mains finalement acquise par Trajan. Des Daces sont représentés du côté romain. Des aristocrates ont peut-être choisi  le camp romain contre leur roi voyant la défaite imminente.

 

Décébale est vaincu une fois de plus. Ses forteresses bien qu’excellentes pour des barbares (et aux yeux des historiens Roumains), ne tiennent que quelques mois face au «génie» de l’armée romaine mais la capitale ne tombe pas. Le roi dace tel Vercingétorix devant César[49], jette ses armes puis il se prosterne aux pieds de l’empereur victorieux.

 

Le processus de paix s’installe. Décébale respecte les traditions romaines et envoie un message de paix au Sénat, Trajan est le symbole d’un retour à la «liberté» républicaine. La paix est très dure pour Décébale. Il doit remettre ses armes et les transfuges romains, céder des territoires, démanteler son réseau de fortifications, ne pas recruter de troupes dans l’Empire romain, devenir l’allié de Rome et accepter des garnisons romaines.

 

Ces exigences très lourdes sont acceptées par le roi dace. Les pertes territoriales sont grandes. L’empire romain s’implante encore plus au Nord du Danube. Des forts étaient déjà présents sous Domitien, mais maintenant ils sont rattachés aux provinces de l’Empire. Le Sud du Banat va à la Mésie Supérieure. L’Olténie, la Valachie et le Sud de la Moldavie sont pour la Mésie Inférieure.

 

Décébale perd donc des sources de revenus, en hommes et en matériel. Son armée déjà affaiblie par les guerres perd les privilèges militaires accordés par Domitien. La défense de la Dacie est donc réduite. De plus toutes les forteresses sont détruites (Piatra Rosi, Blidaru ...). L’archéologie le prouve. Les seules fortifications de l’époque sont constituées de forts romains. Décébale a perdu son autonomie militaire. Il ne peut que gérer son pays et perd toute politique extérieure. Il fait partie de l’Empire romain. Les deux Etats sont alliés.

 

Trajan a mis la Dacie à genou. Elle ne peut reconstituer ses forces et elle est sous la surveillance de garnisons. Décébale a sauvé une partie de son royaume mais il ne peut plus rien contre Rome. Il devient un vassal forcé de l’Empire. Il peut paraître étonnant que Trajan ne transforme pas la Dacie en province à l’issue de cette guerre. La capitale dace ne peut tenir longtemps face aux légions et Décébale n’a plus beaucoup de troupes.

 

Trajan ne prévoyait sûrement pas autant de pertes face aux Daces. Bien sûr il a gagné sa guerre mais elle lui a coûté cher en hommes. Il a dû amener deux légions supplémentaires et la Mésie Inférieure pillée doit être réorganisée. L’empereur ne peut s’enliser dans une guerre longues, les barbares des autres frontières pourraient en profiter. Un autre hiver en Dacie pourrait s’avérer long et dangereux.

 

Trajan a obtenu une paix tellement favorable qu’il contrôle la militarisation de la Dacie et la limite. Il espère peut-être que Décébale va se montrer coopératif ou alors a-t-il remis à plus tard la conquête de toute la Dacie. Trajan a renforcé la frontière au Nord du Danube, il continue ainsi la stratégie de Domitien.

 

La Dacie n’est plus vraiment une menace pour l’Empire et Trajan peut savourer son triomphe militaire et politique.

 


[1]Dio. Cass., LXVII, 6, 3.

[2] N. GOSTAR, L’armée romaine dans les guerres daces de Trajan ; Dacia, Tome XXIII, 1979, p 115-122.

[3]Col. Traj., 17, 27, 88.

[4]Y. LE BOHEC, L’Armée romaine sous le Haut-Empire, 1990, (Paris), 287 pages.

[5]RUSSU, SCIV, 23, p 76, 1972.

[6]Paribeni, L. Home, E. T. Salmon, I, I. Russu.

[7]Col. Traj., 5.

[8]Col. Traj., 8 et Dio. Cass., LXVIII, 8.

[9]E. LUTTWARD, La grande stratégie de l’Empire romain, 1987, (Paris), 260 pages.

[10]Col. Traj., 19.

[11]Dio. Cass., LXVIII, 8 et Col. Traj., 8.

[12]Col. Traj., 9, 13.

[13]LUTTWARD, La grande stratégie de l’Empire romain, 1987, (Paris), 260 pages.

[14]R. VULPE, Studia Thracologica, 1976, (Bucarest), 336 pages.

[15]Tacite, Germanie.

[16]E. LUTTWARD, La grande stratégie de l’Empire romain, 1987, (Paris), 260 pages p 224.

[17]Col Traj, 17, 18.

[18]Dio. Cass., LXVIII, 8, 2.

[19]A. TATU, The defense works at the Iron Gates of Transylvania, Sargetia XVI-XVII, 1982-83, p 165-170.

[20]P. BARKER, The armies and enemies of imperial Rome,  1981, 148 pages, p. 51.

[21]Col. Traj., 19.

[22]P. VIGNERON, Le cheval dans l’Antiquité gréco-romaine, T1, 1968, (Nancy), 338 pages.

[23]Col. Traj., 22.

[24]Col. Traj.

[25]Col. Traj., 23.

[26]Col. Traj., 27.

[27]Col. Traj., 25.

[28]E. CIZEK, L’époque de Trajan, , 1983, (Paris), 566 pages.

[29]M. REDDE, Mare Nostrum, 1986, (Rome), 356 pages.

[30]Col. Traj., 24.

[31]Col. Traj., 27.

[32]Col. Traj., 26, 40, 67, 73.

[33]Dio. Cass., LXVIII, 8.

Les auteurs contemporains ont remarqué une erreur dans les écrits de Xiphilin ; la description de la bataille de Tapae est celle d’Adamklissi.

[34]Co.l Traj., 31.

[35]R. VULPE, Studia Thracologica,1976, (Bucarest), 336 pages, p 224.

[36]Col. Traj., 31.

[37]P. VIGNERON, Le cheval dans l’Antiquité, tome 1, 1968, (Nancy), 338 pages.

[38]Col. Traj., 32.

[39]Col. Traj., 27.

[40]Dio. Cass.

[41]Col. Traj., 34.

[42]Métopes d’Adamklissi.

[43]Tacite, Tacfarinas en Afrique.

[44]Dio. Cass., LXVIII, 9, 3.

[45] C DAICOVICIU, Dacica, 1976, (Bucarest), 626 pages.

[46],Dio. Cass., LXVIII, 9, 4.

[47]Col. Traj., 40.

[48]Col. Traj., 7, 9, 12, 37, 45.

[49]Dio. Cass., LXVIII, 9, 6.