LA CONQUÊTE DE LA DACIE PAR TRAJAN
ÉTAT
DE LA QUESTION : LA CONQUÊTE DE LA DACIE PAR TRAJAN
L’époque
de Trajan est assez bien connue. Différentes sources permettent l’étude de
cette période. La littérature antique associée aux sciences «auxiliaires»
est indispensable pour compléter et comprendre les points obscurs. Les
écrivains sous Trajan sont pour l’essentiel des aristocrates. Les sources
primaires sont marquées par leur sympathie pour Trajan et leur haine envers
Domitien. L’empereur succédant à un tyran selon les sénateurs, subit une
opposition très faible ou détournée. Les auteurs antiques ont écrit de
nombreux textes sous Trajan, mais peu nous sont parvenus. L’empereur lui-même
aurait écrit des commentaires, tel Jules César. Le
Dacica ou De bello dacico n’est pas remonté jusqu’à nous. Seule sa
correspondance avec Pline le Jeune est restée. Trajan
tenait à laisser ses écrits. Certains historiens pensent qu’Hadrien revenant
à une politique défensive aurait tenté de faire disparaître ces textes, mais
il a laissé la colonne Trajane qui rappelle la gloire militaire et la politique
offensive de Trajan. Politique soutenue par Pline le Jeune qui en l’an 100
prononce un panégyrique en l’honneur de son empereur, le texte est sûrement
arrangé et publié en 103. Pline le Jeune aristocrate ayant commencé sa carrière
sous Domitien dévoile une partie du programme politique de Trajan au début de
son règne et l’opposition avec Domitien. Ce texte plein d’éloges est très
partisan, tout est grossi en l’honneur de Trajan mails il reste néanmoins
utile. L’empereur
savait s’entourer de gens compétents qui n’étaient pas tous des sénateurs.
Son médecin Titus Statilius Criton, était dans l’Etat Major de Trajan. Cet
affranchi utilise dans ses écrits un parallèle Alexandre-Trajan et Clésias
lui-même. Comme le médecin du conquérant, il raconte des anecdotes sur la géographie
et les peuples. Présent lors des guerres daciques, il explique les causes du
conflit et énumère les pertes daces. Malheureusement il ne nous reste que des
fragments de l’oeuvre de Criton. D’autres
écrits importants de proches de Trajan ont disparu en partie ou totalement.
Balbus, géographe, avait topographié la Dacie pendant l’invasion. Apollodore
de Damas, le fameux architecte de
l’empereur, racontait ses souvenirs de guerre pour les sièges, ses
fortifications et ses grands travaux (pont
de Drobeta). Un officier nommé Arrien, a aussi écrit sur les conquêtes de
Trajan, mais il manque la partie sur les Daces. Les sources primaires les plus
directes sur le règne de Trajan ont disparu, mais il ne faut pas négliger
celles qui en traitent indirectement. Frontin,
Consul en 100 avec Trajan, écrit Stratagementa,
traité militaire où il fait souvent référence à son empereur. Un autre
auteur fait de même, Suétone dans La
vie des 12 Césars. L’empereur peu critiqué voit l’idéologie de la
monarchie à la romaine triompher chez Dion de Pruse ou Chrysostome dans son
livre De regno. Cet auteur a aussi écrit sur les Daces mais tout a
disparu. Un
des auteurs les plus connus sous Trajan est Tacite. Proche des idées de Trajan
pour une politique offensive, il exprime toutefois une certaine opposition, pour
lui l’ennemi de l’Empire c’est le Germain. Il cite Trajan sans jamais écrire
directement sur lui. C’est Juvénal qui représente dans ses satires le plus
de critiques envers Trajan. Ce personnage aigri par les confiscations de ses
biens sous Domitien et non rendus par ses successeurs, décrit les travers des
empereurs. Martial, poète officiel de Domitien, flattera de même Trajan. Les auteurs contemporains de Trajan lui restent favorables en majorité. Les biographes Aurélius Victor, Fabius Marcellinus et Statius Valeus n’ont pu nous transmettre la vie de Trajan. Par contre, des auteurs postérieurs ont lu ces sources et ont résumé leurs lectures. Les
sources secondaires inspirées des premières sont elle aussi favorables à
Trajan. Eutrope lance la formule «Felicior
Augusto, melior Traiano», il évoque aussi la Dacie dans son oeuvre et est
favorable pour la conserver après tant d’efforts de colonisation.
D’autres auteurs font référence à Trajan, Julien l’Apostat, Aurelius
Victor, Ammien Marcelin..., le plus important étant Dion Cassius. Xiphilin,
moine Byzantin du 11ème siècle, a recopié Dion Cassius. Cette
oeuvre permet de connaître le règne des empereurs et de suivre le problème
dace. Elle est très utile malgré des erreurs dans la compilation. Les
sources littéraires sont toutes romaines et non daces. Les Daces connaissaient
le latin et le grec, mais ils n’ont pas laissé de textes. Tous ces écrits
servent le règne de Trajan mais aussi celui de Domitien, pour la plupart, qui
est essentiel pour comprendre les rapports entre Rome et la Dacie. L’antinomie
des sources entre les deux empereurs reste une difficulté non négligeable, il
ne faut pas sous estimer Domitien et sur estimer Trajan. Les
auteurs sont nombreux mais les écrits
sur Trajan ont souvent disparu, il reste surtout des allusions indirectes.
D’autres sources sont là pour nous guider dans nos recherches. Les
sciences auxiliaires sont un complément nécessaire. L’épigraphie nous
renseigne sur plusieurs points : les constructions, l’organisation de la
religion, de l’armée, de l’administration, les déplacements des
populations et leurs carrières, la politique économique et sociale, les lois. Dans
notre étude, l’épigraphie est très utilisée pour déterminer
l’importance de l’implantation romaine en Dacie. Elle sert également à
localiser les légions et les auxiliaires ainsi que les officiers qui les
dirigent. L’épigraphie comble des détails mais permet également des études
générales. Le Corpus Inscriptionum
Latinorum sert de référence. Les inscriptions dédiées à Trajan prolifèrent
dans tout l’Empire, ainsi que les pièces à son nom. L’empereur
romain a le droit de battre monnaie et l’octroi parfois à des cités.
L’iconographie et la légende abrégée sont choisies avec soin. La
numismatique permet une chronologie des guerres, des constructions édilitaires
et tente de reconstituer la politique économique, religieuse et personnelle de
l’empereur. Trajan,
l’optimus princep, est souvent représenté sur les monnaies. Nous y découvrons
ses victoires militaires et ses préférences religieuses. L’idéologie impériale
est révélée à grands traits par les monnaies. Mais les populations
font-elles attention à cette propagande ?
Par contre, ces pièces informent les provinces des guerres lointaines.
Les archéologues trouvent ces trésors dans tout l’Empire lors de leurs
fouilles. Les
territoires de l’antique Dacie sont toujours étudiés aujourd’hui par les
archéologues. La littérature étant peu fertile sur la civilisation dace, les
historiens s’orientent vers d’autres sources. C’est l’archéologie qui
fournit le plus de renseignements sur ce peuple. L’étude de l’habitat, de
la poterie, des métaux, de l’art ont permis de retracer l’évolution et les
influences des ancêtres des Daces. L’archéologie est vitale pour comprendre
les Daces. Elle est également très utile pour la civilisation romaine. Les
grands travaux de Trajan lors de son règne marquent Rome. Les plus remarquable
est le forum du nom de l’empereur où se trouve sa colonne. Cette oeuvre
d’art traite des deux guerres daciques de Trajan, elle est donc une source de
choix pour notre sujet. Elle apporte de nombreux éléments intéressants : déroulement
des événements, armements des belligérants, cérémonies, religions. En
revanche, elle reste un travail artistique commandé par l’empereur avec ses
stéréotypes, ses raccourcis, son idéologie. L’Arc de Triomphe de Bénévent
et le Trophée d’Adamklissi font aussi partie de nos sources. Il ne faut pas
oublier une fois de plus les critères esthétiques du temps et surtout ne pas
sur exploiter une oeuvre artistique. L’archéologie
ne s’occupe pas que des travaux d’art. Elle permet de confirmer l’oeuvre
d’Apollodore de Damas avec la construction de son pont à Drobeta et de
trouver en plus l’aménagement du Danube aux Portes de Fer. Les archéologues
s’occupent beaucoup du limes Danubien révélant la présence de forts parfois
très en avant en territoire Barbare et cela dès Domitien. Les Romains très
fiers de leurs ancêtres daces et romains, multiplient les fouilles sur leur
territoire, mais ils n’hésitent pas à utiliser des sources originales pour
leur histoire comme la papyrologie. Le
British Museum possède le papyrus 2851 dit de «Hunt». Il indique des
mouvements de troupes sous Domitien et Trajan pour la Mésie Inférieure. Seul
papyrus utilisé dans cette étude, il reste un document de choix. La diversité des sources permet une étude assez complète. Il faut toutefois rester critique face aux écrits trop souvent favorables à Trajan et aux oeuvres d’art stéréotypées. Malgré les efforts des copistes, des sources littéraires intéressantes ont disparu. Mais l’épigraphie et l’archéologie apportent chaque année de nouvelles données.
DÉFINIR LE SUJET
La
Dacie royaume barbare organisée autour de son roi Décébale, est située dans
les Carpates au Nord du Danube et de la Mésie Inférieure. Trajan
maître de l’immense Empire romain de 98 à 117 est un conquérant ambitieux,
il entreprend l’annexion des territoires daces. Deux guerres seront nécessaires
: la première en 101-102 et la seconde en 105-106 pour venir à bout de la résistance
dace et de leurs alliés. La
conquête militaire achevée, Trajan proclame la Dacie province romaine. Il va
s’occuper de son intégration dans l’Empire romain et de sa défense tout au
long de son règne.
ÉTAT DE LA QUESTION : LA CONQUÊTE DE LA
DACIE PAR TRAJAN
La
colonne Trajane nous raconte les deux guerres daciques de Trajan, l’achèvement
de la conquête de la Dacie nous est connu par l’archéologie et les écrits.
Cette colonne posée sur le forum de Trajan donne des solutions, mais pose des
problèmes. Sans texte, elle ne nous donne pas toutes les réponses. Les sources
littéraires sur l’empereur ne sont pas toutes revenues jusqu’à nous. La
politique de Trajan en Dacie , ses moyens, ses compétences, son ambition ne
nous ont pas été tous révélés. Pour les Daces aussi connus essentiellement
par l’archéologie, il reste des points obscurs comme leur organisation
politique, militaire et religieuse. La
question de la conquête ne s’est jamais posée dans son entier, elle a été
traitée par parcelles selon les besoins des auteurs. Les guerres parthiques
entreprises plus «glorieuses», éclipsent la question dace qui reste un prélude
avant la guerre en Orient. Elle est pourtant essentielle pour comprendre la
politique romaine sur le Danube et le début du règne de Trajan. Les
historiens roumains s’intéressent à la conquête à travers la résistance
dace et oublient souvent les Romains. L’intérêt est de confronter les
auteurs roumains qui sont souvent nationalistes ou sous influence socialiste, et
les autres historiens pour avoir un ensemble de réponses sur la question.
INTRODUCTION PROBLÉMATIQUE
La
conquête de la Dacie pose de nombreuses questions. Quel
était l’ambition de Trajan, ses objectifs politiques et militaires ? Suit-il
les idées de Domitien ? Avec
quels moyens en hommes et matériels a-t-il pu aboutir ? Les Daces ont résisté
une première guerre face à l’immense Empire romain, comment ont-ils fait et
quelle était leur politique extérieure
? Trajan
triomphe enfin mais cette deuxième guerre n’était-elle pas organisée
d’avance ? Pourquoi
l’empereur décide de provincialiser sa conquête et a-t-il eu raison à son
époque ? Comment fait-il pour assimiler aussi vite cette nouvelle province ?
INTRODUCTION PLAN
L’étude
de la conquête dace de Trajan suit un ordre chronologique. Nous
verrons en premier lieu les rapports entre Daces et Romains avant Trajan, puis
la politique de Trajan et les raisons qui le poussent à la guerre. Cette mise
en place du conflit est nécessaire pour comprendre les motivations des deux
parties et les forces en présence. Dans
une seconde partie nous analyserons les phases militaires de la première guerre
dacique et son bilan. Enfin,
nous traiterons de l’entre-deux guerres, puis de la provincialisation et de
l’intégration rapide de la Dacie après la mort de Décébale et de son Etat,
succombant face à l’écrasante supériorité romaine. |