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La Dacie enfin battue par Rome est intégrée dans l’Empire. Cette conquête soulève beaucoup de questions déjà posées précédemment : pourquoi Trajan voulait ces guerres ? Comment les Daces ont pu résister si longtemps ? Et enfin, quel a été le choix et les effets de cette connexion ?
Domitien avait échoué face aux Daces. Sa victoire militaire non exploitée après plusieurs déboires lui a permis d’obtenir une paix de compromis. La multiplication des expéditions en Dacie montre le danger potentiel de ce peuple. Domitien voulait peut être annexer la Dacie mais il n’a jamais employé les moyens nécessaires. Il espérait surtout mater les Daces par des expéditions punitives et déstabiliser le pouvoir en place. Toutefois, de nombreuses bases militaires ont été retrouvées au Nord du Danube par les archéologues romains. Le papyrus de «Hunt» confirme cette occupation armée dans le Banat et l’Olténie. Domitien prévoyait peut être la provincialisation de la Dacie après avoir réglé ses problèmes avec les autres peuples du Danube.
Les empereurs ont
souvent une politique à long terme et laissent à leurs successeurs leurs
plans. Trajan est perçu comme l’homme qui a repris l’offensive, mais
Domitien avait déjà commencé. Il a étendu et sécurisé l’Empire sur le
Rhin et le Haut Danube.
La paix avec les
Daces oblige Rome à payer des subsides. C’est une pratique courante, mais des
conflits éclatent si Rome arrête de payer ou si les barbares désirent plus.
Domitien a trouvé une solution à court terme, le problème dace est
sous-jacent même si les Daces sont fidèles à leur parole et n’attaquent pas
Rome tant qu’ils sont payés.
Trajan poursuit
la politique de Domitien parce qu’il veut lui aussi régler le problème
dace. Plusieurs raisons le poussent à agir. Il est surtout politique. Trajan a
été porté au pouvoir par des aristrocrates militaires. Ils veulent un retour
à une politique extérieure offensive. La gloire et la richesse attendent les généraux
victorieux. L’empereur se doit de satisfaire les hommes qui l’ont soutenu.
De plus, bien que
choisi par Nerva pour plaire à l’armée, Trajan doit se faire apprécier des
soldats par ses propres actes. L’empire romain est une monarchie militaire.
Son empereur doit être soutenu par l’armée pour gouverner ce qu’a fait
Domitien. Ainsi, il a pu résister longtemps
à l’opposition du Sénat. L’opinion publique apprécie elle aussi
quand les barbares sont battus chez eux. La guerre ravage les provinces excepté
quand on est l’envahisseur (normalement).
Trajan veut la
guerre et c’est sur le Danube que Domitien a subi le plus d’échecs.
L’empereur sert son ambition mais il veut régler les problèmes laissés en
suspens par ses prédécesseurs. Les peuples du Danube s’allient souvent
contre Rome : Quades, Marcomans, Sarmates, Daces. La diplomatie les corrompt par
des subsides, des statuts de peuples alliés, mais cela ne dure pas toujours.
Trajan a besoin de frapper fort sur le Danube pour montrer la puissance de l’Empire
et donner l’exemple. Le choix se porte sur les Daces.
La civilisation
dace a sûrement atteint le privilège d’appartenir au monde habité devant
appartenir aux Romains. Peuple ancien sous influence Celte, Hellène puis
romaine, l’archéologie dévoile leur apogée au début du 2ème siècle
de notre ère. L’orgueil romain blessé par les défaites veut une revanche.
Le pays possède de l’or et de grands pâturages. Les intérêts politiques et
économiques ne font pas oublier la vision stratégique du conflit.
La fin d’un état
dace fort permettrait de sécuriser les deux Mésie et l’axe Est-Ouest
terrestre de l’Empire. Le problème est de savoir si Trajan voulait de suite
annexer toute la Dacie. En 102 il acquiert tout le Sud et laisse le Nord avec
les mines d’or. La création d’une tête de pont au Nord du Danube commencée
par Domitien et améliorée par Trajan prouve la continuité de la politique
dace.
L’empereur
attaque avec ses légions. Le problème est de trouver leur nombre, de 6 à 12
selon les auteurs. L’épigraphie nous aide, ceux qui sont partisans du maximum
prennent tout simplement le nombre de légions stationnées sur le Danube. Cette
hypothèse semble peu vraisemblable. Le Danube fleuve frontière de plusieurs
centaines de kilomètres ne peut être autant dégarni. Il existe sûrement
plusieurs vexillations venant de tout l’Empire mais pas 12 légions complètes
De plus,
l’empereur ne peut commander autant de troupes sans mal, étant donné le
relief et les moyens techniques de l’époque. Le nombre de légionnaires
devait être entre 40.000 et 50.000. Les troupes proviennent surtout du Bas
Danube. Pour les auxiliaires, les chiffres sont à peu près les mêmes. Ces
troupes hétéroclites proviennent de tout l’Empire : Orient, Germanie, Méditerranée.
Leurs différences ethniques démontrent une des grandes puissances de l’Empire,
il peut fournir sans trop d’efforts des milliers de soldats combattants en
plus selon des techniques différentes. Les
ressources fournies par les provinces sont bien supérieures à celles
des montagnes daces. Il suffit de regarder sur une carte l’étendue de l’Empire
romain face à la Dacie.
La Macédoine
a battu l’Empire Perse grâce à son armée. Les troupes romaines sont
très bien équipées et très disciplinées. La qualité du légionnaire romain
au Haut Empire est légendaire. Trajan en tant qu’envahisseur a peut être une
armée supérieure en nombre, elle l’est en tout état de cause en qualité et
en cavalerie.
L’atout
principal de Trajan est la professionnalisation de son armée et son
organisation. La logistique est la meilleure de l’époque. Les Romains sont
des poliorcètes accomplis et savent même franchir les rivières à l’aide de
bateaux ponts. Il ne faut pas oublier la flotte qui joue un rôle essentiel dans
cette guerre. Elle permet de patrouiller, de ravitailler et surtout de
transporter rapidement les troupes. La flotte fluviale est essentielle pour les
déplacements stratégiques des hommes et du matériel. Face à tant de
savoir-faire d’une armée entraînée, nous nous demandons comment les Daces
ont pu résister.
Domitien avait échoué
pour vaincre en Dacie. Trajan utilise la même stratégie. Il attaque par l’Ouest
en passant par le Banat. Son but est de vaincre Décébale, le capturer si
possible, et de prendre Sarmizegetusa la capitale. En abattant les symboles du
pouvoir, il espère désorganiser les Daces pour mieux les vaincre ou les
contraindre à se rendre. Décébale se défend une fois de plus face à
l’envahisseur romain.
L’armée de Décébale
est elle aussi très disciplinée, tout au long de la guerre elle sait refuser
le combat, reculer en ordre à Tapae et attaquer en Hiver. Le moral est bon. Ils
défendent leurs terres et leur Dieu promet l’immortalité. Malheureusement
pour nous, la religion dace est mal connue. Il semble qu’elle récompense le
guerrier mort au combat. Décébale vaincu par les armées de Domitien a pu
analyser sa défaite et trouver une parade surtout que l’empereur prend le même
chemin que ses prédécesseurs. Trajan ne poursuit pas l’armée dace défaite
à Tapae. Il évite peut-être le piège classique des Daces à cet endroit. Par
contre, il poursuit son avancée vers Sarmizegetusa. Ainsi, il montre son désir
de vaincre et d’écraser les Daces.
Décébale comblé
d’éloges par Domitien surprend Trajan et attaque la Mésie Inférieure en
hiver. La province sans légion est pillée. Cette erreur stratégique de
l’empereur est flagrante, il n’a pas su défendre son arrière pays. C’est
une faute puisque les Romains savent que les barbares franchissent souvent le
Danube en hiver pour des raids.
Trajan sauve la
situation grâce à sa mobilité due à sa flotte et à la supériorité de son
armée qui ne perd aucune bataille rangée dans les guerres daciques. Trajan est
peut-être un bon tacticien, c’est en tout cas un bon meneur d’hommes mais
il est mauvais stratège ici. Il est peut-être mal conseillé mais c’est lui
le responsable, il est présent et dirige lui-même l’armée.
La guerre
continue et des forteresses tombent. Chose étonnante, Trajan conclut la paix en
102 après l’avoir refusée plusieurs fois. Décébale et Sarmizegetusa sont
saufs, mais la soeur du roi dace est captive. Trajan a vaincu plusieurs fois
l’armée dace et ses alliés, il a démontré la puissance de Rome. Il aurait
pu continuer la guerre et annexer toute la Dacie à l’aide des ressources
immenses de l’Empire.
Mais Trajan reste
un fin politique, la paix met la Dacie à genoux. Décébale détruit ses
forteresses, perd beaucoup de terres, ses subsides, ses machines de guerre, ses
ingénieurs. Son armée et ses alliés sont défaits et à cause des défaites
beaucoup d’hommes sont morts. L’empereur a atteint ses objectifs. Sa gloire
est diffusée par les monnaies dans tout l’Empire et l’armée l’apprécie.
L’image de l’Empire
militaire se diffuse. Trajan a fait mieux que Domitien. Bien que terni par la
«diversion» en Mésie Inférieure, la victoire est complète. Battre un
ennemi valeureux et courageux rehausse le prestige. Trajan en arrêtant la
guerre peut reconstituer son armée, il a eu des pertes mais pour Décébale
c’est plus difficile.
La Dacie ravagée
et amputée ne peut reconstituer ses forces de 101. Décébale n’est plus
qu’un vassal de Rome. Il respecte la paix une fois de plus et détruit ses
forteresses. En 105 éclate un conflit avec les Iazyges alliés à Rome, Trajan
décide de retourner en dace. Décébale est-il un barbare révolté, trop fin
pour obéir à Rome ? L’analyse est intéressante. Décébale a toujours
respecté les traités.
Les Romains présentent
les Daces comme des fourbes brisant leur parole, ainsi Rome a un casus belli
contre eux. Décébale voyant les préparatifs romains et la détermination de
Trajan semble plutôt prendre les devants avant qu’il ne soit trop tard. Cette
vision est créditée par les historiens romains parfois nationalistes. Trajan
envahit une fois de plus la Dacie et c’est un massacre rapide, les légions
avancent et prennent les places fortes. Cette guerre ressemble plus à une opération
de police de grande envergure dans une province révoltée. Après un siège
rapide, la capitale tombe, les «montagnes fortifiées»
ne résistent pas aux poliorcètes romains. Isolé et avec une armée réduite
en 105, le roi dace résiste jusqu’au bout. Il se suicide marquant la fin
inexorable de son Etat.
La guerre se
termine, les Daces n’avaient aucune chance cette fois. Les barbares doivent
être provincialisés si l’Empire veut être tranquille, pour cela il
faut que ce soit possible. Les Daces ne sont pas aussi sauvages que les Germains
d’Auguste. Ils acceptent d’appartenir à l’Empire romain. Il n’y a pas
de révolte avant Hadrien. La province est assez riche pour le devenir. K.
Carcopino a parlé de l’or des Daces apportant un grand butin à l’empereur,
mais il s’est trompé en partie. Aujourd’hui, les historiens estiment que
c’est surtout les mines d’or bien exploitées par l’Empire qui ont enrichi
Trajan. Les nombreaux troupeaux daces on pu apporter une grande partie du butin.
La Dacie appelée Dacia Felix était rentable.
Trajan en
annexant la Dacie assure une meilleure défense de l’Empire tout en étendant
les frontières. Les montagnes sont plus faciles à défendre que la plaine.
L’armée a pris du butin et l’opinion publique a vu qu’il était encore
possible de conquérir. Trajan peut aller plus loin avec son armée s’il le désire.
La fin de la menace dace est un bon point pour la sécurité de l’Empire,
surtout que les peuples du Danube sont dangereux. Trajan a calmé leurs
ambitions jusqu’à la fin de son
règne. L’empereur acquiert du prestige et l’Empire est euphorique.
A court terme,
les guerres daciques de Trajan ont été profitables : or, prestige, fin des
Daces, limes Danubien renforcé, mais à plus long terme elles sont
critiquables. Trajan a négligé la Bretagne pas entièrement soumise,
l’effort de guerre et la création de deux nouvelles légions coûtent cher à
l’Empire. Il est difficile de dire si cette guerre a été rentable, mais cela
parait probable vu l’effet de l’or dace sur les imaginations et les
politiques de grands travaux de Trajan. C’est la politique parthique postérieure
qui semble plus critiquable.
La Dacie est
utile à l’Empire pour son économie et sa défense. Sa provincialisation
reste un mystère. La population indigène reste présente grâce à l’archéologie,
mais sa latinisation est rapide. Beaucoup de colons sont envoyés des provinces
et non d’Italie pour combler les lourdes pertes en hommes dues aux deux
guerres successives.
Les Daces présents
dans tout le Bas Danube ont déjà été provincialisés en Mésie Inférieure.
Le contact des deux provinces assure peut-être une excellente pénétration de
la civilisation romaine. Les Daco-romains prennent vie dans cette trop grande
province de Dacie. Trajan a su conquérir militairement les Daces après deux
guerres assez courtes, mail il a su également les attacher à l’Empire en
leur inculquant la civilisation romaine.
Cette réussite
va pousser l’empereur vers d’autres ambitions plus grandes.